Amis bien aimés,

Ma Loulou est partie pour le pays de l'envers du décor, un homme lui donné neuf coups de poignard dans sa douce peau. C'est la société qui est malade, il nous faut la remettre d'aplomb et d'équerre par l'amour  et l'amitié et la persuasion.

C'est l'histoire de mon petit amour à moi arrêté sur le seuil de ses 33 ans. Ne perdons pas courage, ni vous, ni moi. Je vais continuer ma vie et mes voyages avec ce poids à porter en plus et mes deux chéris qui lui ressemblent.

Sans vous commander, je vous demande d'aimer plus que jamais ceux qui vous sont proches ; le monde est une triste boutique, les coeurs purs doivent se mettre ensemble pour l'embellir,

Il faut reboiser l'âme humaine.

Je resterai sur le pont, je resterai un jardinier, je cultiverai mes plantes de langage. A travers mes dires, vous retrouverez ma bien aimée ; il n'est de vrai que l'amitié et l'amour.

Je suis maintenant très loin au fond du panier des tristesses.

On doit manger, chacun, dit-on un sac de charbon pour aller au paradis, ah comme j'aimerais qu'il y ait un paradis, comme ce serait doux les retrouvailles. En attendant, à vous autres, mes amis d'ici-bas, face à ce qui m'arrive, je prends la liberté, moi qui ne suis qu'un histrion, qu'un batteur de planches, qu'un comédien qui fait du rêve avec du vent, je prends la liberté de vous écrire pour vous dire à quoi je pense aujourd'hui :

Je pense de toute mes forces qu'il faut aimer à tort et à travers.

 

Julos Beaucarne, texte écrit dans la nuit du 2 au 3 février 1975, après l'assassinat de sa femme.